Place forte by Sébastien Brebel

Place forte by Sébastien Brebel

Auteur:Sébastien Brebel [Brebel, Sébastien]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782818009765
Éditeur: POL Editeur
Publié: 2011-01-15T05:00:00+00:00


C’était écrit sur la coque en lettres blanches, qui me sont restées en mémoire comme une rumeur mal dépassée. Je savais déjà que je n’oublierais jamais la vision de ces lettres peintes sur la coque sombre, qu’un jour je trouverais la place de les recopier quelque part, au nom d’une gloire posthume ; et l’abeille butineuse, qui sait si je ne la retrouverai pas en colonie, un de ces jours, sur une tombe fleurie, je me disais cela devant ma coupe de fruits. Je me sentais vidé. Épuisé. Cassé, je ne dis pas, car je conservais malgré tout une force nerveuse qui sommeillait dans tous mes muscles, prête à exploser, et qui impulsait aux gestes de mon bras gauche une assurance illimitée. Certes ce bras était ralenti, car abandonné l’esprit de profusion qui avait préfiguré à l’apparition sur la nappe de l’aurochs, je ressentais une immense fatigue, qui m’était infligée comme une contrariété de plus. Ma tête vibrait, une voix sirupeuse, sucrée, emplissait la cafétéria, comme une plainte gémissante. Langueur orangée. Les murs au papier tapisserie compulsif se pressaient contre mes tempes et noyaient les conversations environnantes dans un crépitement d’incendie. Je continuais mon dessin sur la nappe en papier, malgré la voix lancinante du juke-box qui vomissait les paroles d’une chanson vaguement déprimante, malgré l’étau des murs, malgré le son de cette voix qui paraissait en suinter et malgré le sentiment d’absurdité qui commençait à m’envahir. Je continuais malgré tout. Moment de crise. Une ou deux fois par mois, je passe quelques jours seul à l’hôpital. Je n’y reçois pas de visite, personne n’est au courant, ça reste entre eux et moi. Un coup de téléphone ; parfois un infirmier qui sonne à ma porte, accompagné d’un autre, en civil. Sur place, on me traite avec beaucoup d’égards, des manières doucereuses et des accents paternels. À mes questions, invariablement, on me répond que je dois oublier que je suis à l’asile : oubliez que vous êtes ici, enfin, cette référence constante au concept de frontière sème la plus grande confusion dans l’esprit des hommes et, comment dire (une toux suivie d’un long silence), cela prend chez vous des proportions qui finissent par nuire à votre équilibre psychique, voilà, votre santé pâtit de l’idée de limite, l’idée de limite vous obsède tout bonnement et vous paralyse, un soupir de lassitude, allons, oubliez ça vite. La durée de mes séjours dépend de mon état. Même ton de voix lorsqu’il est question de mon état général ; on m’explique d’abord que je devrais le prendre plus au sérieux, prenez-vous en main, voilà ce qu’on me dit, avec dans la voix quelque chose qui se vrille dans les oreilles, et le visage aussi change, tandis que la voix commente l’état du patient, le visage prend les traits du sommeil ; ils ont tous ça, le sommeil qui leur monte à la figure. Vous ne savez jamais très bien ce que tout cela veut dire, qu’est-ce qu’ils veulent dire, au juste, au sujet de votre état général, vous demandez-vous.



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